ON NE PEUT PAS REPRENDRE SON GESTE

ON NE PEUT PAS REPRENDRE SON GESTE
Je vais traiter ici d’un sujet déjà entretenu avec beaucoup d’entre vous, mais il me semble pertinent d’en rediscuter aujourd’hui, tant son importance est grande.

Je parle ici de la retouche en permanence. Cette envie, ce plaisir (cette fuite ?) que pratiquent de nombreux auteurs ! En quoi consiste cette retouche ? En l’action de reprendre inlassablement les pages précédentes au détriment de l’avancée concrète, jour après jour. Retoucher durant trois semaines la première partie avant de commencer la seconde, relire les cinq dernières pages de la veille pour « rebondir » aujourd’hui, etc.

 

Je pense que voyez TOUS très bien de quoi je parle, puisqu’à ma connaissance, vous le faites TOUS.

 

Et je tiens à dire qu’en tant que biographe, j’ai longtemps agi de la sorte.

 

Relire, reprendre, retoucher est avant tout, même si vous pouvez être tentés de me démontrer le contraire, un acte de réassurance, de mise en confiance… Jusqu’ici tout va bien, qu’y a-t-il de mal à se « mettre en confiance » ? Dans l’absolu, pas grand-chose. Mais qualitativement, c’est souvent au détriment de votre manuscrit et, pour parler en termes de rentabilité, mollement productif. Bref, c’est aussi une forme de procrastination déguisée.

 

Encore une fois, je vais passer par la métaphore sportive, parce que c’est le sport qui m’enseigne chaque jour. Et je crois que les leçons qui valent pour la mise en mouvement du corps valent en général pour l’esprit.

 

Quand je m’entraîne, et ce, quel que soit le sport, je ne peux pas reprendre mon geste. Je peux au mieux faire mieux la prochaine fois. Je pense notamment à une compétition de natation en eau libre, pour moi qui suis, au sein de mon club, une faible « crawleuse ».

De façon très concrète, quand, à l’entraînement, ma longueur est mauvaise, je ne repars pas au milieu de celle-ci pour la reprendre. J’en prends acte, je me fais un peu « enguirlandée » par le coach, et j’essaye de rattraper le coup à la longueur suivante. Mon but est, le temps de l’entraînement, de donner le meilleur de moi-même. Pas de m’arrêter sur les éventuels ratés ou « peut mieux faire » qui existeront toujours au sein d’un entraînement.

 

Tant pis pour les mauvaises longueurs.

Tant pis pour les virages en culbute ratés.

À la fin, ce qui compte, c’est le chrono et la distance : j’ai nagé combien en combien de temps ?

 

C’est seulement APRÈS ce constat (combien en combien de temps) que l’on discute « qualité » de l’entraînement. Les questions du coach commencent :

- Comment peux-tu faire pour ne pas reproduire ce mauvais geste ?

- Qu’est-ce qui, selon toi, n’est pas bon dans ta posture ?

- Qu’as-tu à dire sur ta respiration ?

- T’entraînes-tu assez ?

- T’entraînes-tu trop ?

Etc.

 

Longtemps, je ne faisais pas le lien entre ce que m’enseignait ma vie « d’à côté » sur ma vie professionnelle. Puis, en 2020, alors que j’étais très en retard sur une biographie, m’est venue « l’illumination » en entraînement.

 

Puisque l’enjeu est d’avancer, alors j’écris désormais non-stop. Je ne relis plus, je ne retouche plus. Cette énergie mentale à la recherche de la phrase parfaite, je la garde pour le travail de relecture, après l’effort principal.

 

À tête froide,

À tête reposée.

 

Je pense que je passe plus de temps à réfléchir à ma façon de pratiquer mes sports, que de temps à réellement les pratiquer. Ce temps de réflexion, c’est mon temps de retouche à l’écrit.

 

J’écris d’abord, tous les jours.

Je ne relis pas.

Je reste fixée sur mon objectif : AVANCER. FINIR CE MANUSCRIT.

Puis je sors la tête de l’eau, je pense un peu à autre chose.

Enfin, j’entame le travail de relecture et de retouche. Plus long, plus fastidieux, et plus agréable aussi. Pourquoi plus agréable ? Parce que l’écriture est finie. Je fignole, j’embellis et j’ai du temps devant moi pour cela.

 

Les écrivains qui produisent beaucoup font comme ça.

On ne peut pas reprendre inlassablement son geste, on prend le risque du surplace.

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