Touchez pas au grisbi

Touchez pas au grisbi
Le monde littéraire français, réputé pour sa profonde contribution à la culture mondiale, est aujourd'hui aux prises avec une précarité grandissante. Derrière les vitrines lumineuses des librairies et le glamour des cérémonies de remise de prix, un nombre alarmant d'auteurs lutte pour survivre financièrement.

Selon un récent rapport du CNL (Centre National du Livre), près de 50 % des auteurs français gagnent un revenu inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 1 063 € par mois en 2020. Pour donner une perspective, dans des pays comme le Royaume-Uni et l'Allemagne, bien que les défis existent, la proportion d'auteurs vivant sous le seuil de pauvreté est moins prononcée. Cependant, la diminution progressive de la « classe moyenne des auteurs » est un phénomène qui se manifeste mondialement.

 

Raphaëlle Leyris, dans son article du Monde 8 octobre 2023, a également mis en lumière cette situation préoccupante. Le témoignage de Franck Courtès, un ancien photographe devenu écrivain, illustre à quel point la dégradation financière est tangible. Son récit, À pied d’œuvre, décrit comment la transition vers la littérature l'a plongé dans une détresse financière, l'obligeant à louer ses services pour une somme modique (merci Stéfanie de m’en avoir parlé). L'étude menée en 2023 par la SCAM et la SGDL a révélé que près de 49 % des auteurs ressentaient une détérioration de leur situation financière.

 

Cette dégradation financière des auteurs intervient alors que l'édition était l'un des rares secteurs culturels à prospérer pendant la pandémie de Covid-19 en 2020-2021. Les chiffres montrent une best-sellerisationaccrue, avec une concentration des ventes sur quelques ouvrages, souvent de nature plus commerciale que littéraire. Karina Hocine, de Gallimard, indique que cette « classe moyenne de l'édition », qui vendait autrefois entre 5 000 et 10 000 exemplaires, est en train de disparaître.

 

La situation est rendue encore plus compliquée par une augmentation du nombre de titres publiés. Entre 2011 et 2021, les livres enregistrés à la Bibliothèque nationale de France ont augmenté de 26 points. Cette augmentation massive des publications peut, en partie, être attribuée à la pratique de la péréquation : un livre à succès finance neuf titres moins rentables. Mais cette péréquation est menacée, car certains auteurs à succès optent désormais pour l'autoédition.

 

Pour beaucoup, l'écriture ne représente qu'une fraction de leurs revenus. L'écrivain Claude Arnaud, qui a publié une quinzaine d'ouvrages en quarante ans, estime que ses droits d'auteur ne représentent qu'un gros tiers de ses revenus. La précarité oblige certains, comme Raphaël Meltz, à diversifier leurs écrits, à participer à des festivals, à animer des ateliers d'écriture, et à recevoir des bourses et des aides publiques pour compléter leurs revenus.

 

En tant qu'agent, il est crucial de s'interroger sur notre rôle dans ce paysage. Bien que traditionnellement considérés comme des défenseurs des auteurs, il est de plus en plus difficile de lutter contre la précarisation grandissante. Les musiciens et les chanteurs en France, malgré leurs propres défis, bénéficient de sources de revenus plus variées. La comparaison est frappante : selon l'ADAMI, le revenu annuel médian des artistes-interprètes s'élevait à environ 18 000 euros, contre 5 000 euros pour les auteurs. Et pourtant, 18 000 euros annuels, ce n’est pas grand-chose…

 

Être artiste aujourd'hui, que ce soit en littérature, en musique ou dans toute autre forme d'art, exige foi et courage. Malheureusement, talent, passion et détermination ne sont pas toujours récompensés par une rémunération adéquate.

 

Mais osons imaginer un monde sans art…

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