Pour un avenir durable et équitable du livre : Gagnons ensemble
Il y a deux semaines, j’ai consacré cette newsletter au pilon. Comme évoqué, 20 à 25 % des livres finissent au pilon, jamais ouvert, et souvent jamais « mis en place » (ce qui signifie qu’après tirage, ils sont restés dans les stocks). Certes l’ensemble des livres du pilon sont recyclés, mais comme je le répète, il y a quand même une absurdité à produire des choses qui vont passer DIRECTEMENT par la case destruction. Pendant longtemps, j’ai considéré cette réalité comme inhérente à la fast fashion ou à d’autres industries, sans incriminer la propre industrie dans laquelle j’évolue. Le livre est noble, il est beau, il est un objet culturel, symbolique, intellectuel, ostentatoire parfois, bref, il n’était pas, selon moi, concerné par le moche consumérisme et la logique à la con.
Pour une raison que je ne m’explique pas, j’ai vrillé il y a deux mois, et depuis, je ne peux plus voir ma bibliothèque sans voir, indépendamment de la beauté, une somme d’objets dormants. Je ne peux plus voir une librairie sans voir les retours qui en découlent, le pilon qui va suivre. Quand je vois un seul exemplaire d’un livre en librairie, caché en bas des étagères, je vois l’absurdité d’occuper une place pour l’occuper. Paradoxalement, j’évolue dans un milieu de crève-la-faim. On produit trop, mais les auteurs ne vivent pas de leur écriture. On produit trop, mais les petits éditeurs ferment les uns après les autres, ou arrêtent de se payer. On produit trop, mais aucun agent ne s’offre des séjours aux Seychelles. Chez les grands groupes, les finances se portent bien, mais les éditeurs salariés jouent aux chaises musicales en permanence. Je ne compte même plus celles et ceux qui sont insatisfaits. J’ai le sentiment, peut-être erroné, d’un système à bout de souffle et qui, en plus, va dans le mur d’un point de vue environnemental.
D’un point de vue personnel, j’ai décidé de prendre le chemin des nouveaux paradigmes à trouver. C’est peut-être moi qui vais dans le mur, mais qu’importe, au pire, je me réinventerai. J’aime les livres et je persiste, nous avons besoin d’histoires pour vivre, nous construire, évoluer, décider. Je ne veux pas que l’on produise moins dans le sens d’une décroissance éditoriale, je veux que ce l’on produise ne finisse pas au pilon. Je veux que l’usage du livre change, qu’il ne soit plus un objet figé. Acheté, conservé, immobilisé, puis jeté des décennies plus tard. Je veux également que les éditeurs profitent d’un changement de monde, car il faut des éditeurs pour avoir le courage de mettre de l’argent au service d’une histoire. Et je veux bien sûr que les auteurs gagnent plus d’argent, pour continuer à nous raconter des histoires.
Je trouve que la loi sur le livre d’occasion au profit du maintien financier des libraires stupide. Je ne suis pas économiste, j’en conviens. Mais cela me semble une décision liée au monde d’hier. Il faut permettre aux livres d’occasion de vivre, et à nous tous d’y gagner. Il faut un suivi et un tracé de l’ISBN qui permettent, à chaque vente de seconde main, de reverser un pourcentage aux auteurs et aux éditeurs. Qui va financer les droits d’auteur sur les seconde main ? Eh bien les clients ! Les librairies peuvent organiser des leasings de bibliothèques, des abonnements qui incluent des nouveautés et des occasions… On peut tout imaginer, à condition de considérer le seconde main comme la principale part du marché avec un nouveau système de répartition de la valeur. Je suis convaincue que cela est possible mais que cela demande du boulot. Une concertation collective, comme la convention citoyenne pour le seconde main culturel. Je ne crois pas que cela soit utopiste. Je rappelle d’ailleurs, même si comparaison n’est pas raison, que le leasing automobile est apparu en 1962 en France et que tout le monde pensait que cela serait un échec. Aujourd’hui, 4/5e de la production automobile est écoulée via des leasings. Il y a des modèles à adapter, et ce n’est pas si impossible.
Je le répète, je n’ai pas ni l’influence d’Intertalent, ni celle de Madrigall. Je n’ai rien pour moi. Mais j’ai envie de me dire, au même titre que j’essaye, dans ma consommation personnelle, de penser à demain, que j’ai tenté le coup, que j’ai contribué au monde de demain, que celui-ci n’est pas que voué à se prendre le mur, et qu’il n’y a qu’en essayant que l’on saura.
J’ai eu la chance d’assister la semaine dernière au Congrès National du CJD (3emouvement patronal de France). J’ai pu entendre diverses interventions dont celle du mathématicien Jean-Pierre Goux. Voici ce qu’il disait : si l’on prenait tous les êtres humains, qu’on les mettait dans un mixeur pour faire une grosse boulette de viande, on obtiendrait une boulette d’1 km de diamètre, que l’on pourrait faire trôner dans Central Park. Maintenant, si l’on faisait une boulette de toutes nos créations humaines matérielles, la boulette ferait le volume de la biosphère.
On peut s’en foutre, on peut se dire « après moi, le déluge ». Mais on peut aussi tenter des trucs, ici ou là, et peut-être même, engendrer une croissance verte, ce qui serait juste génial !
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